Du recyclage de filets de pêche aux tissus écologiques innovants, la mode caribéenne embrasse plus que jamais le développement durable. Lors du festival culturel CARIFESTA XV en août 2025 à la Barbade, un défilé de mode durable inédit a mis en lumière sept designers caribéens engagés, présentant des créations aussi créatives qu’écoresponsables.

Ces stylistes de la nouvelle vague – provenant de Trinité-et-Tobago, de Cuba, du Belize, de Panama, d’Antigua, de Martinique et même de la diaspora caribéenne aux États-Unis – insufflent un vent d’espoir en prouvant que mode et durabilité peuvent rimer avec identité caribéenne et innovation.

Smart Swimsuits (USA) – L’innovation recyclable au service des océans

L’américaine Aleksandra Fardanov, fondatrice de Smart Swimsuits, propose des maillots de bain à la pointe de l’innovation écoresponsable. Basée à Miami mais présente sur les podiums caribéenslors du CARIFESTA XV, sa marque confectionne ses maillots à partir de matériaux recyclés, contribuant ainsi à la protection des océans. Son tissu technique exclusif offre un SPF 35 intégré qui bloque les rayons nocifs tout en laissant bronzer la peau. Cette approche conjugue slow fashion et technologie durable.

CARIFESTA XV
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Alba Royo – Made in Women (Martinique) – Du carnaval au vêtement engagé

Styliste engagée en Martinique, Alba Royo anime l’atelier « Made in Women » au sein de l’association D’Antilles & D’Ailleurs lors du CARIFESTA XV. Elle mobilise les femmes de l’île autour d’une démarche d’upcycling : récupération de filets de pêche usagés pour en faire des costumes de carnaval écoresponsables. Une façon de réconcilier création locale, transmission culturelle et conscience environnementale.

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Studio Perera (Belize) – Artisanat de luxe éthique

Emilio Perera, fondateur de Studio Perera, prône un luxe artisanal durable au Belize. Ex-maroquinier devenu designer, il n’utilise que des matériaux bruts sourcés localement : cuir local, fibres de bananier, noix de coco… Chaque pièce est faite main, en collaboration avec des artisans béliziens. Studio Perera révèle ainsi une mode de territoire, durable et porteuse de sens.

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House of Argent (Antigua & Barbuda) – Avant-garde recyclée

Garrett “Argent” Javan, styliste originaire d’Antigua, revendique une mode avant-gardiste et écologique. Diplômé à Trinité-et-Tobago et révélé par l’émission Mission Catwalk, il conçoit des pièces conceptuelles audacieuses avec des matériaux recyclés, teinture inversée, effets visuels et silhouettes androgynes. Sa marque House of Argent incarne une esthétique décoloniale et engagée.

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Juan Carlos Jiménez Huerta (Cuba) – Créativité artisanale et résiliente

Designer et céramiste cubain, Juan Carlos Jiménez Huerta fusionne les arts plastiques et la mode. Sa collection “Intimidad ofrendada”, conçue pendant la pandémie, utilise des techniques artisanales variées : peinture textile, macramé, tissage, accessoires en céramique recyclée. Originaire de Matanzas, il incarne une mode ancrée dans la résilience cubaine et le fait main.

Love For Upcycling (Panama) – La mode comme activisme circulaire

Fondée par le designer panaméen José Alexzander, la marque-mouvement Love For Upcycling promeut l’upcycling textile via des concours, des ateliers et des collections écoresponsables. Son credo : revaloriser les vêtements usagés pour sensibiliser à la fast fashion. Son impact s’étend de Panama à Miami, dans une logique de communauté internationale.

The Cloth (Trinité-et-Tobago) – L’âme caribéenne tissée main

Robert Young, fondateur de The Cloth, est une figure historique de la mode caribéenne durable. Depuis 1986, il défend une mode ancrée dans la culture locale, à base de tissus naturels, teintures artisanales, motifs faits main. La maison prône la longévité des vêtements et leur valeur affective. “Grown and made in the Caribbean” résume son engagement.

Une mode caribéenne entre racines et renouveau

Qu’ils recyclent des déchets marins en tenues de fête, qu’ils pérennisent des techniques ancestrales ou qu’ils réinventent les textiles high-tech, ces sept créateurs caribéens partagent une même conviction : la mode peut – et doit – être durable. Leur succès sur la scène du CARIFESTA XV illustre l’émergence d’une vision régionale commune, où l’identité culturelle insulaire se conjugue à la responsabilité environnementale.

Inspirés par leurs racines autant que par l’urgence climatique, ils proposent une mode qui raconte une histoire – celle d’îles résilientes face aux défis du monde. Une mode caribéenne éthique, poétique et engagée, qui invente aujourd’hui les codes vestimentaires de demain.

Dans le cadre de CARIFESTA XV, l’événement « Big Ideas, Bold Voices » a rassemblé à la Barbade cinq panels majeurs autour du business de la musique. Durant une même journée, des intervenants venus de Jamaïque, des États-Unis, du Canada ou encore de Saint-Kitts ont partagé leur expertise pour offrir aux artistes et professionnels caribéens des clés concrètes de développement.

Panel 1 – Soca as a Genre in the Grammys and Membership Aspects

Intervenante : Janette Becerra – Représentante de la Recording Academy (Grammy Awards)

La première discussion a mis en lumière un enjeu central : la reconnaissance du soca au sein des Grammy Awards. Janette Becerra a rappelé que, malgré son rayonnement international, le soca n’a pas encore de catégorie officielle dans cette prestigieuse cérémonie. Elle a insisté lors du CARIFESTA XV sur l’importance pour les artistes, producteurs et managers caribéens de rejoindre la Recording Academy afin de peser collectivement dans les décisions.

Selon elle, l’avenir du soca aux Grammys dépend moins d’un débat esthétique que d’une mobilisation institutionnelle. Plus les professionnels caribéens seront membres et actifs au sein de l’Académie, plus leurs genres musicaux – soca, calypso ou chutney – auront des chances d’obtenir une visibilité et une reconnaissance officielle. Cette intervention lors du CARIFESTA XV a lancé la journée sur une note claire : l’union et l’organisation sont essentielles pour faire progresser la musique caribéenne dans les grandes instances mondiales.

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Panel 2 – Global Export Production

Intervenants : Stephen “Di Genius” McGregor (Jamaïque, producteur pour Drake, Shakira, Sean Paul, Damian Marley…) et Rico Love (États-Unis, auteur-compositeur pour Beyoncé, Usher, Kelly Rowland, Nelly, etc.)

Ce panel a ouvert un dialogue franc entre deux producteurs de renom sur la manière d’exporter les sons caribéens. Stephen McGregor, figure incontournable du dancehall et du reggae fusion, a partagé son expérience de Jamaïcain travaillant sur les scènes américaines et internationales. Son message était simple : l’authenticité est un atout, et l’exportation ne signifie pas renoncer à ses racines.

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Rico Love a insisté sur un autre point : un hit repose toujours sur des émotions universelles. Qu’il s’agisse d’amour, de solitude ou de joie, les chansons qui marquent sont celles qui expriment des sentiments intimes de manière originale. Il a rappelé lors du CARIFESTA XV que le rôle du producteur n’est pas de créer une identité à l’artiste, mais de révéler la grandeur déjà présente en lui.

Les deux intervenants ont également abordé lors du CARIFESTA XV l’essor de l’intelligence artificielle dans la production musicale. Leur position est claire : l’IA est un outil, jamais une menace. Elle peut aider à gagner en efficacité, mais elle ne remplacera pas la sensibilité humaine qui fait la force d’une œuvre.

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Panel 3 – Publishing and Global Access (K-pop, Eurovision, EDM)

Intervenants : Kristen, Maria Brokberg (alias Mathia), Bruno Duque, Spencer Mussellam

Ce panel s’est concentré sur l’édition musicale et l’accès aux marchés internationaux. Les intervenants ont montré comment les catalogues caribéens pouvaient trouver leur place dans des univers aussi variés que la K-pop, l’Eurovision ou l’EDM.

Ils ont souligné l’importance de structurer les droits d’auteur et de bâtir un catalogue solide, car c’est ce qui ouvre les portes des collaborations mondiales. L’exemple de la K-pop a illustré comment une industrie peut valoriser ses compositeurs en exportant massivement des titres à travers l’Asie et au-delà. L’Eurovision, quant à elle, a été présentée comme une vitrine exceptionnelle pour faire découvrir des styles régionaux à un public planétaire. Enfin, l’EDM a été mis en avant pour sa fluidité de collaboration : un producteur caribéen peut aujourd’hui co-signer un titre avec un DJ européen ou asiatique en quelques clics.

Le message central : la Caraïbe doit investir dans l’édition et l’organisation juridique de ses œuvres pour devenir un acteur incontournable sur ces scènes mondiales.

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Panel 4 – Label Management, A&R Management, Global Booking & Tour Management

Intervenants : Ivan Berry (Canada/Saint-Kitts, manager, éditeur et conseiller), Jonathan Ramos (Live Nation, VP Global Touring), Max Gousse (A&R et manager, collaborateur de Beyoncé, Usher, Saweetie)

Ce quatrième panel a exploré le cœur du métier d’artiste : comment gérer sa carrière, son label, son développement artistique et ses tournées.

  • ✅ A&R et management de label : Max Gousse a insisté sur le rôle central de l’A&R, capable de guider un artiste dans la création d’un catalogue cohérent et d’assurer la vision à long terme. Le management de label, lui, structure l’ensemble du processus, de la production à la promotion.
  • ✅Booking et tournées : Jonathan Ramos a expliqué la différence entre soft tickets (festivals, premières parties, où le public n’est pas venu uniquement pour vous) et hard tickets (concerts où les spectateurs paient pour VOUS voir). Pour lui, la vraie valeur d’un artiste se mesure à sa capacité à vendre des “hard tickets”.
  • ✅ Stratégie locale avant globale : Ivan Berry a encouragé les artistes à bâtir d’abord leur crédibilité chez eux, via des circuits locaux (cafés, bars, églises, clubs), avant d’ambitionner l’international.
  • ✅Fans et digital : Tous ont insisté sur l’importance de l’engagement réel des fans et du contenu en ligne. Un fan actif, prêt à acheter un billet VIP ou un t-shirt, vaut plus que des milliers de followers passifs.

Au-delà de la technique, ce panel a rappelé une évidence : aucun artiste ne peut réussir seul. C’est la complémentarité entre labels, A&R, managers, agents et producteurs qui fait naître des carrières durables.

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Panel 5 – Global Platforms for Distribution

Intervenants : Kevin Barton (cofondateur du Departure Festival, ex-Universal, réalisateur) et Patrick Murphy (Directeur de programmation, Departure Festival, ex-Live Nation)

Le dernier panel a élargi le débat au-delà de la musique pour envisager la place des artistes caribéens dans un écosystème culturel global. Kevin Barton a rappelé lors du CARIFESTA XV que la musique touche tous les domaines – cinéma, jeux vidéo, gastronomie, art visuel – et qu’il faut éviter de se laisser enfermer dans une seule étiquette artistique.

Patrick Murphy a complété en soulignant l’importance d’un profil complet : talent, discipline, présence numérique et collaborations stratégiques. Pour lui, un compte Instagram ou TikTok est désormais un CV en ligne. Les programmateurs et labels ne cherchent pas à deviner le potentiel d’un artiste : ils veulent voir des preuves concrètes de son engagement et de sa capacité à fédérer une communauté.

Les deux intervenants ont aussi rappelé lors du CARIFESTA XV que le réseau humain reste essentiel. Les grandes carrières se bâtissent moins sur des cartes de visite distribuées que sur de véritables relations nouées avec des pairs au même niveau, qui évoluent ensuite ensemble vers le succès.

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En réunissant des experts de haut niveau autour de thématiques aussi variées que l’édition, l’exportation, la production, le management ou la distribution, CARIFESTA XV a montré que la Caraïbe possède toutes les ressources pour s’imposer sur la scène mondiale. Mais les messages ont convergé : cela exige discipline, structuration, collaboration et engagement.

Qu’il s’agisse de faire reconnaître le soca aux Grammy Awards, d’exporter un son authentique, de bâtir un catalogue solide, de remplir des salles ou de tirer parti des plateformes numériques, l’avenir des artistes caribéens dépendra de leur capacité à conjuguer créativité et stratégie.

CARIFESTA XV
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Malgré une présence modeste en nombre, la Martinique a brillé par la force de ses propositions artistiques et culturelles à la CARIFESTA XV. Richès Karayib revient sur l’engagement de ses artistes, l’impact de leurs performances et la portée symbolique d’une participation qui révèle toute la richesse créative de l’île.

Création artistique lors de la CARIFESTA XV : trois expressions, un même territoire

Le groupe Tras La

Le spectacle “Lanmè ka pran, lanmè ka ba” du groupe Tras La, porté par La Soso (Sonya Marc), a transporté le public dans une fresque sensorielle autour de la mer Caraïbe, un spectacle profondément symbolique et incarnée. 

Composé de deux tableaux, ce spectacle tisse un lien sensible entre mémoire, drame historique et célébration vivante :

 La première partie : Lanmè ka pran — la mer qui prend, rend hommage aux vies englouties, aux disparus de la traversée transatlantique, mais aussi à des figures telles que le journaliste André Aliker ou les victimes de Chalvet, tous liés à l’histoire et à la mer.

La seconde partie , Lanmè ka ba – la mer qui donne, s’ancre dans la transmission et la vitalité : la pêche, les Yoles, l’amour, la plage, les fêtes populaires.

La mise en scène chorégraphique mêle l’eau, les corps, les tambours et les récits intimes, pour faire de la mer une actrice centrale de la mémoire collective.

Pour La Soso, ce spectacle prend tout son sens à la Barbade, dans une Caraïbe reliée par la mer, où il devient urgent de dépasser les barrières linguistiques et politiques pour renforcer une rencontre naturelle entre Caribéens. C’est l’esprit même de la CARIFESTA XV.

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Boris Reine-Adélaïde

Boris Reine-Adélaïde, alias Boris Percus, a quant à lui livré une performance solo saisissante, où il fusionne le tambour bèlè traditionnel martiniquais avec un sampler électronique. Seul en scène, il crée une musique en direct qui mêle afrobeat, rumba congolaise, drill, dancehall et influences brésiliennes.

Ce voyage sonore puissant, ancré dans la tradition mais ouvert sur le monde, dessine une Martinique contemporaine, en dialogue avec les scènes musicales d’Afrique, d’Europe et d’Amérique latine. Une manière de raconter son île autrement, par le rythme, l’improvisation et la technologie, en parfaite résonance avec la CARIFESTA XV.

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L’association D’Antilles et d’Ailleurs

Enfin, l’association D’Antilles et d’Ailleurs a fait forte impression avec la marque Made in Women, portée par la designer Alba.

En plus d’un stand d’exposition-vente présent durant le festival, l’équipe a présenté ses créations lors d’un défilé de mode très remarqué.

Les pièces, réalisées à partir de filets de pêche recyclés, conjuguent esthétique contemporaine, engagement écologique et ancrage territorial. Alba défend une vision forte de la mode caribéenne : consciente, circulaire, et connectée aux enjeux sociaux et environnementaux du quotidien insulaire. Ce message a trouvé un écho particulier dans le cadre de la CARIFESTA XV.

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Diplomatie culturelle : présence politique et coopération régionale

CARIFESTA XV

Si la scène était occupée par les artistes, les représentants politiques martiniquais ont également joué un rôle clé. Marie-Ange Ravin et Dominique Pompée, représentants de la Collectivité Territoriale de Martinique, ont participé à des rencontres stratégiques, notamment avec Dr Shantal Munro-Knight, Ministre déléguée à la Culture au sein du Bureau de la Première Ministre de la Barbade.

Objectif : renforcer les coopérations interrégionales dans le champ culturel, soutenir la mobilité artistique et promouvoir l’intégration caribéenne. Ces échanges ont pris toute leur valeur dans le cadre de la CARIFESTA XV.

Une voix à amplifier dans la Caraïbe

Une délégation mesurée, mais porteuse de sens et de vision. À travers l’art, la mode, la scène et l’engagement politique, la Martinique a démontré sa capacité à dialoguer avec le reste de la Caraïbe, à proposer une parole singulière et à contribuer à la fabrique d’un imaginaire commun régional.

Cette participation à la CARIFESTA XV met en lumière un enjeu fondamental : la nécessité de renforcer les ponts non seulement culturels, mais aussi économiques, environnementaux et diplomatiques entre les territoires de la Grande Caraïbe. Dans cette perspective, l’intégration active à des cadres régionaux comme la CARICOM devient stratégique pour amplifier les collaborations, favoriser la libre circulation des artistes, des biens et des idées, et peser collectivement sur les enjeux globaux. L’avenir de notre région se construira sur ces interactions croisées, sur la circulation des idées, des créations, des produits et des visions, comme l’a rappelé la CARIFESTA XV.

Richès Karayib poursuivra sa mission : faire entendre ces voix, documenter ces passerelles, et contribuer à la reconnaissance mutuelle des peuples de la Grande Caraïbe.

Une autrice jamaïcaine incontournable

Opal Palmer Adisa

Opal Palmer Adisa est reconnue comme une figure majeure de la littérature caribéenne. Originaire de Kingston, elle a mené une carrière transnationale, entre la Jamaïque, les États-Unis et l’ensemble de la région. Professeure et écrivaine, Opal Palmer Adisa a enseigné durant plus de vingt ans en Californie et contribué à fonder le Creative Writing Program du California College of the Arts. Revenue ensuite dans la Caraïbe, elle a dirigé l’Institute for Gender and Development Studies de l’Université des West Indies, tout en publiant plus de vingt-cinq ouvrages.

Ses titres, tels que It Begins with Tears, Painting Away Regrets ou 4-Headed Woman, sont lus comme des références dans l’exploration de l’identité, du genre et de l’héritage historique. À travers sa revue Interviewing the Caribbean, elle a également créé un espace pour donner la parole aux écrivains, artistes et intellectuels de la région.

Un atelier d’écriture ancré dans les sens et la mémoire

Opal Palmer Adisa

Lors de CARIFESTA XV en Barbade, Opal Palmer Adisa a animé un atelier dans le cadre du programme littéraire « Conversation with the Poet Laureates ». Cet espace n’était pas un simple moment de théorie, mais une mise en pratique immédiate. Elle a proposé des prompts pour faire écrire les participants, en voici quelques exemples :

– écrire « le goût de la maison », en cinq lignes, à travers odeurs, textures et couleurs ;
– écouter la mer comme une narratrice qui raconte migrations, souffrances et guérisons ;

Cette pédagogie, profondément sensorielle, visait à rappeler que l’écriture n’est pas une abstraction : elle se nourrit de ce qui est vu, senti, goûté et entendu au quotidien.

Opal Palmer Adisa

Les ancêtres et la mer comme guides

L’atelier a pris une dimension quasi rituelle lorsque Opal Palmer Adisa a invité chacun à invoquer les noms de ses ancêtres. Elle souligne que l’héritage matrilinéaire et patrilinéaire constitue une source de savoirs et de récits souvent oubliés. Écrire, dans sa perspective, consiste à renouer ce fil interrompu par l’histoire coloniale.

Opal Palmer Adisa

La mer a été l’autre grand axe de sa réflexion. Elle a demandé aux participants de s’y projeter, de sentir l’eau sur la peau, le sable sous les pieds, les vagues sur le corps. Pour elle, l’océan est un livre ouvert, dépositaire des drames du passé mais aussi espace de guérison. Elle a évoqué le Molinere Underwater Sculpture Park de Grenade, soulignant l’importance d’inscrire des rituels mémoriels liés à la mer dans la culture caribéenne contemporaine.

Diversité culturelle et langue créole

L’autrice a rappelé que la Caraïbe est née de la rencontre de multiples héritages : Taïnos avec le manioc et le bami, Africains avec leurs langues et rythmes, Indiens et Chinois avec le riz, les épices et les currys. Cette diversité est, selon elle, une richesse immense, mais qui reste encore trop peu intégrée dans les représentations collectives.

Opal Palmer Adisa insiste sur l’importance d’écrire dans les langues créoles. Elle affirme que ces idiomes ne sont pas de simples dialectes mais des cosmologies entières, porteuses d’une vision du monde. Les utiliser en littérature, c’est résister à l’effacement culturel et réhabiliter des savoirs.

Opal Palmer Adisa

Une urgence éducative

Pour l’écrivaine, cette démarche doit commencer dès l’école. Elle regrette que beaucoup d’enfants jamaïcains ne connaissent pas les noms des oiseaux, arbres ou plantes locales, mais retiennent des références importées. Elle milite pour des ateliers d’écriture dès le primaire, afin que les enfants apprennent à dire leur environnement et à se construire une fierté identitaire.

Vers une unité caribéenne

En citant Mia Mottley, Première ministre de la Barbade, Opal Palmer Adisa a insisté sur la nécessité de dépasser les frontières nationales pour penser une identité commune. « We have to be Caribbean », répète-t-elle, comme une invitation à écrire une histoire partagée, affranchie des stéréotypes.

Plutôt que de se limiter à représenter une île, un pays ou un territoire, elle appelle à s’inscrire dans un horizon collectif, où la Caraïbe se raconte comme une entité vivante, plurielle et solidaire.

Opal Palmer Adisa

L’intervention de Opal Palmer Adisa à CARIFESTA XV a montré qu’écrire la Caraïbe, c’est convoquer le goût des plats, le bruit des vagues, la voix des ancêtres, la diversité des cultures et la force des langues locales. Son atelier a rappelé que la littérature peut être un acte de résistance, une manière de guérir et de relier générations et territoires.

Lieu : Golden Square Freedom Park, Bridgetown
Date : 23 août 2025, Journée internationale du souvenir de la traite négrière
Événement : Lancement des “Big Conversations” à CARIFESTA XV
Thème du panel : “The Idea of Caribbean Civilization”
Modératrice : Dr. Carla Barnett, Secrétaire générale de la CARICOM

Un moment de conscience collective

C’est sous les arbres de la Golden Square Freedom Park, lieu symbolique des luttes ouvrières barbadiennes, que s’est ouvert le premier grand panel de débat de CARIFESTA XV. Intitulé “The Idea of Caribbean Civilization”, cette conversation inaugurale a réuni quatre grandes voix de la Caraïbe autour d’une question essentielle : Pouvons-nous penser la Caraïbe comme une civilisation à part entière ?

Ce panel d’ouverture a posé les bases de ce que pourrait être une architecture d’innovation caribéenne, à partir d’un socle mémorial, culturel et politique partagé. Dans cette logique, CARIFESTA XV devient un espace de réflexion collective où mémoire et avenir se rejoignent.

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Des paroles fortes, des trajectoires croisées

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Dr. Ralph Gonsalves, Premier ministre de Saint-Vincent-et-les-Grenadines, a ouvert la réflexion avec une définition de la civilisation comme état d’équilibre entre les dimensions visibles (infrastructures, systèmes) et invisibles (valeurs, comportements, résistances). Pour lui, la Caraïbe n’a pas besoin d’empire pour être une civilisation : « Il existe un génie résident dans notre peuple, fait de rationalités cachées, de ressources sous-exploitées ».

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Sir Hilary Beckles, Vice-chancelier de l’Université des West Indies, a proposé une fresque historique puissante où la Barbade apparaît comme un territoire-pivot de la mémoire esclavagiste et de la lutte pour la liberté. Il a rappelé que la Barbade fut le premier territoire à développer le modèle de l’esclavage de type chattel, exporté ensuite dans tout l’hémispère.

➡️ Qu’est-ce que l’esclavage de type chattel ?


Issu du mot anglais chattel (biens meubles), ce système considérait les esclaves comme des propriétés au même titre qu’un cheval ou une maison. Selon le Barbados Slave Code of 1661, « tous les Africains arrivant sur l’île seront considérés comme des biens meubles et de l’immobilier ». Ce régime juridique faisait de l’esclavage une condition héréditaire, raciale et transmissible, où les enfants naissaient automatiquement esclaves, utilisés comme monnaie, hypothèque ou héritage. C’est ce modèle, initié à la Barbade, qui a ensuite servi de référence à d’autres colonies britanniques, notamment en Jamaïque et en Caroline du Sud.

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Dr. June Soomer, diplomate et historienne de Sainte-Lucie, a ancré le débat dans les mobilités caraïbes, les apports des femmes et des diasporas. Elle a appelé à une décolonisation réelle des esprits, rappelant que « nous ne pouvons pas construire une civilisation caraïbe en hiérarchisant ses peuples ».

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Enfin, Mia Amor Mottley, Première ministre de la Barbade, a livré une intervention magistrale sur les enjeux d’éducation, de technologie et de gouvernance à l’échelle caribéenne. Elle a averti : « La nouvelle colonisation ne viendra pas par la mer, elle entrera dans nos esprits via les plateformes numériques que nous ne contrôlons pas. » Elle appelle à bâtir un espace politique et pédagogique commun pour résister à l’uniformisation numérique.

Elle a illustré son propos par un exemple concret : le Barbados Slave Code of 1661. En interrogeant plusieurs plateformes d’intelligence artificielle, dont Microsoft Copilot, Perplexity et d’autres moteurs en ligne, elle a constaté qu’aucune ne pouvait fournir de réponse, révélant une incapacité à accéder à cette part cruciale de l’histoire caribéenne. Pour Mia Mottley, cet effacement numérique de la mémoire caribéenne révèle un danger majeur : si nos histoires disparaissent des archives accessibles aux nouvelles générations, alors la colonisation des esprits est déjà en marche. Dans ce contexte, CARIFESTA XV prend tout son sens en devenant une tribune pour redonner voix aux mémoires occultées.

Une vision partagée pour l’avenir

Le panel s’est achevé sur une vision partagée : la Caraïbe est déjà une civilisation. Non pas par imitation, mais par métissage, lutte, et solidarité. Une civilisation en devenir, à l’interface du monde africain, européen, amérindien, indien et asiatique.

Dans une séquence finale, chaque intervenant a été invité à partager une réflexion ultime.

Ralph Gonsalves a souligné que toute civilisation durable exige une base matérielle solide et une structure institutionnelle de coopération. Il a appelé à un “individualisme social” fondé sur la solidarité et la mer comme nouveau frontière civilisationnelle.

June Soomer a rappelé l’importance de se concevoir comme un collectif, et non une addition d’îles isolées. Selon elle, la Caraïbe ne pourra se connecter durablement à l’Afrique qu’en consolidant d’abord son unité interne.

Hilary Beckles a conclu avec une critique puissante du “Slave Code of 1661” et une revendication : “Nous, descendants de cette loi, disons non. Nous défendons l’humanité et l’égalité des droits”.

Mia Mottley a fermé la marche avec un plaidoyer pour la “scale” : une civilisation ne vit que si elle touche les masses. Elle a appelé à mobiliser les artistes, les jeunes et les créateurs comme vecteurs d’influence et de transformation. “Dans une époque de narrowcasting, il faut changer de modalités pour toucher les esprits”, a-t-elle affirmé.

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Ce panel inaugural de CARIFESTA XV a rappelé une vérité essentielle : la Caraïbe ne se résume pas à un archipel de résistances passées, mais bien à une civilisation en mouvement. Une civilisation qui s’invente collectivement, entre mémoire, courage politique, et audace créative. À nous, peuples caribéens, de continuer à écrire cette histoire – ensemble, et à notre manière. Avec des moments comme ceux de CARIFESTA XV, il devient clair que l’art, la mémoire et la pensée critique sont les piliers d’une véritable civilisation caribéenne. 

 Dans l’esprit des organisateurs, CARIFESTA XV n’est pas seulement un festival, mais une étape décisive vers une conscience collective renouvelée. En inscrivant ces débats dans l’histoire, CARIFESTA XV se positionne comme un jalon majeur de la construction identitaire et culturelle caribéenne.

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